Interview avec le chef Nicolas Durif : quand les plantes s’invitent en cuisine

Publié le 7 août 2022
MAJ le 26 novembre 2024

Un jardin japonisant caché dans une petite ruelle où l’on accède uniquement à pied. Un lieu à part où le temps s’arrête… À l’intérieur, une cuisine créative et surprenante où les herbes aromatiques s’expriment à loisir… Le chef Nicolas Durif nous ouvre les portes de son restaurant étoilé.

Nicolas Durif, originaire d’Alsace, a fait son apprentissage en cuisine dans l’Auberge du Cheval Blanc, doublement étoilée. Après avoir complété sa formation auprès d’autres maisons étoilées, il quitte sa région natale pour le sud de la France, auprès de Michel Kayser, où il découvre des produits qu’il rapportera dans ses valises. En 2002, il arrive à La Rochelle, puis à Rochefort à la Corderie Royale où il occupera le poste de chef de cuisine et obtiendra en 2007 le titre de « jeune talent du Poitou-Charentes », décerné par le guide Gault et Millau. Fort de cette expérience, en février 2015, il ouvre son premier restaurant, l’Hysope, à La Jarrie.

Pourquoi l’Hysope ?

Cuisiner un plat

Cuisiner un plat –

Nicolas Durif : Le nom du restaurant est une combinaison entre ma passion pour les plantes et ma région d’origine, l’Alsace. Historiquement, ou de manière un peu légendaire, l’hysope était une plante utilisée par les sorcières en Alsace. J’ai toujours aimé ces histoires de magie et c’est un peu ce que l’on fait en cuisine, lorsque l’on associe des ingrédients qui n’ont rien en commun et que tout se mélange parfaitement, que l’osmose se produit, que l’on arrive à provoquer une émotion. L’hysope est une plante qui se marie avec beaucoup d’ingrédients, et particulièrement ceux de la mer, que j’aime travailler. On peut la déguster fraîche, déshydratée, en émulsion, en sorbet…

Quel est votre rapport aux plantes en cuisine ?

N. D. : Les plantes font partie intégrante de ma cuisine, car elles subliment le plat, certaines, même, apportent une dimension différente à chaque bouchée. On ne cherche pas à cacher le goût des aliments, mais plutôt à les rehausser grâce aux plantes. Nous arrivons à travailler avec une quarantaine de variétés différentes en été grâce à des producteurs locaux. J’ai commencé à travailler les plantes avec Hubert Maetz de l’Hostellerie du Rosenmeer à Rosheim ; nous allions les chercher directement dans son jardin, puis au cours de mon parcours professionnel j’ai découvert d’autres manières de les travailler.

Est-ce que d’autres chefs vous ont particulièrement inspiré dans votre parcours ?

N. D. : Je n’ai pas un seul mentor… En fait, je pense que j’ai appris de chaque chef avec lequel j’ai pu travailler. Ma cuisine est singulière aujourd’hui, car je me suis forgé une expérience auprès de chefs qui ont des visions différentes de la cuisine. Si je devais n’en citer qu’un, je pense que ce serait Michel Kayser du Restaurant Alexandre à Garons, avec lequel j’ai travaillé pendant plus de deux ans et avec qui j’ai appris à cuisiner la viande de taureau qui figure en permanence sur ma carte.

Avez-vous d’autres « principes » en cuisine ?

N. D. : L’anti gaspillage est une pratique que je soutiens. Aussi, nous travaillons uniquement des menus « inspiration », sans choix de la part des convives, permettant de changer régulièrement, de travailler avec des produits de saison et surtout issus d’une production locale. Mon poisson provient de la criée de La Rochelle ou de Royan, mes légumes de différents maraîchers du département et mes plantes des petits producteurs de l’île de Ré et de Royan qui nous fournissent des plantes différentes en fonction de la saison.

Nous travaillons également avec du safran de culture locale. Quelles sont vos plantes préférées en cuisine ?

N. D. : L’hysope, bien évidemment, pour les raisons citées précédemment, mais aussi la plante sucrée des Aztèques, le cresson de Pará, ainsi que toutes les plantes des marais : salicorne, criste-marine, obione…

Sous quelles formes les utilisez-vous ?

N. D. : Nous essayons au maximum de ne pas transformer les vertus et le goût des plantes, c’est pourquoi nous les utilisons le plus souvent fraîches, mais certaines sont travaillées en émulsion ou en infusion. Nous faisons aussi des sorbets avec quelques-unes d’entre elles sans y rajouter de sucre, car elles en contiennent naturellement. Vous avez récemment participé à l’événement « Le Grand Repas », invitant des collégiens à élaborer des menus de chefs.

Pensez-vous que les bases de la cuisine devraient être enseignées dès l’école ou qu’il faille repenser la façon de fonctionner des cantines scolaires ?

N. D. : Oui je pense qu’il serait intelligent de permettre à nos enfants de se familiariser avec la cuisine, et surtout avec les produits. Leur enseigner comment manger et surtout à quel moment, que les tomates au mois de décembre, ce n’est pas vraiment de saison, par exemple… Malheureusement, chacun fait comme il peut à son niveau et tout le monde n’est pas logé à la même enseigne. Je tire mon chapeau à tous ces hommes et ces femmes qui font à manger à nos enfants en devant respecter un budget plus que dérisoire. Quant au matériel, certains ne disposent même pas de quoi cuisiner correctement. Pour changer les choses, il faudrait d’abord en avoir les moyens.

Est-ce que vous utilisez les plantes en dehors de la cuisine également, par exemple pour vous soigner ?

Une cuisine d’un restaurant

Une cuisine d’un restaurant –

N. D. : Je suis par chance rarement malade, mais je fais confiance aux plantes pour me soigner quand c’est le cas, au moyen d’inhalations et d’huiles essentielles. Pouvez-vous nous partager une recette originale dans laquelle nos lecteurs pourraient découvrir pleinement le parfum et la saveur de l’hysope ? N. D. : Avec plaisir ! En vous souhaitant une bonne dégustation !

Fraîcheur d’huîtres à l’hysope
– 6 huîtres n° 3
– 3 g d’hysope en poudre

Quelques fleurs d’hysope fraîches
– 1 kiwi épluché
– 2 piquillos
– 1 échalote
– 6 brins de criste-marine.

1.Ouvrez les huîtres et gardez l’eau, ainsi que les coquilles.
2. Faites infuser l’hysope en poudre dans l’eau des huîtres en la faisant tiédir. Passez le tout dans une passette afin d’éliminer toute trace de coquille. Ajoutez les huîtres dans le liquide tiède et réservez. 3. Coupez le kiwi, les piquillos et l’échalote en petits dés.
4. Mélangez le tout puis répartissez-le dans chaque fond de coquille. Disposez les huîtres par-dessus en finissant avec le jus de pochage.
5. Décorez de criste-marine et de quelques pétales de fleurs d’hysope fraîches.